L'invasion spectaculaire de la physique par les mathématiques depuis le XVIIIe siècle serait, en soi, une justification suffisante à cet examen ; plus récemment, la chimie, la géologie, puis la biologie, ont, à leur tour, fait une grande place aux méthodes et aux arguments mathématiques. Les thèses les plus opposées pour rendre compte de cette association ont été défendues par les savants, les philosophes et les historiens des sciences. Depuis la doctrine de l'inadéquation radicale jusqu'à celle de nature potentiellement consubstantielle des mathématiques et des sciences de la nature, tout a été défendu. Une position a émergé de ces discussions, celle selon laquelle l’association est particulièrement harmonieuse et essentielle qui unit la physique aux mathématiques. Cette situation privilégiée aurait donné naissance à la science physico-mathématique.
Je souhaite défendre dans la suite les opinions suivantes. La première est que la science physico-mathématique n’existe pas. Une association très étroite unit des domaines mathématiques et des domaines physiques sans que l’on puisse y reconnaître une fusion et donc une nature commune entre les deux sciences ainsi reliées. Cette situation évoque plutôt, un genre bien connu en biologie, lorsqu’un organisme symbiotique associe intimement deux espèces distinctes ; ces deux espèces sont nécessaires à la survie de l’organisme symbiotique mais, pour autant, elles demeurent bel et bien deux espèces séparées. Une conséquence de cette idée alimente la seconde opinion présentée infra : la contestation de l’existence de la physico-mathématique affaiblit et même conteste le statut épistémologiquement singulier de la physique parmi les sciences de la nature. Elle conteste sa supériorité épistémologique, supériorité appuyée sur l’exactitude et la certitude que lui confèrerait sa nature commune avec les mathématiques.
Bien entendu, les rapports entre les mathématiques et les diverses sciences de la nature sont fort différents et il est vain de nier qu’ils sont plus intenses du côté de la physique. Je défends simplement que cette distinction n’a rien d’essentiel. Ce qui rapproche l’épistémologie de toutes les sciences de la nature est plus consistant que ce qui les distingue.